Politique internationale

Titres des thèmes :  (classés dans l'ordre inverse des publications)


4. Le 25e plan de paix en Palestine est en marche, en attendant le 26e !

3. Mort de Alexeï Navalny - 1976-2024

2. Prisonnier de Poutine - <<Le but est de briser Alexeï Navalny, mais il peut être fort et s'en remettre»
1. Répression en Russie - Navalny dans l'enfer de la prison IK-2


Le 25e plan de paix en Palestine est en marche, en attendant le 26e !

Par Guy Mettan *


Le plan de paix élaboré par Donald Trump et Benjamin Netanyahu réussira-t-il à rétablir la paix en Palestine ? L'histoire des 25 plans, initiatives et autres feuilles de route proposés depuis 1947 n 'incite pas à l'optimisme. Dans une quinzaine de cas, des accords sont parvenus à mettre fin aux effusions de sang et à établir des cessez-le feu provisoires. Mais tous les projets ont échoué à bâtir une paix durable. Le programme en 21 points de Trump-Netanyahu n'échappera pas à la règle. Le petit rappel suivant nous montre pourquoi.


* Guy Mettan est journaliste et député au Grand Conseil du canton de Genève, qu'il a présidé en 2010. Il a travaillé pour le «Journal de Genève» 

Le Temps stratégique, Bilan, «Le Nouveau Quotidien» et plus tard comme directeur et rédacteur en chef de la «Tribune de Genève». En 1996, il a fondé le Swiss Presseclub, dont il a été le président puis le directeur de 1998 à 2019 ...


Notons qu'il est impossible d'établir une liste satisfaisante des propositions, initiatives et plans de paix qui ont émaillé le conflit israélo-palestinien depuis 78 ans, tant leur variété est grande. Traités officiels, initiatives régionales, propositions diplomatiques, accords intérimaires, négociations privées se bousculent à raison d'un événement tous les trois ans en moyenne. Même l'intelligence artificielle n'y retrouve pas ses petits. Pour ma part, j'ai retenu les 25 initiatives diplomatiques qui m'ont paru les plus significatives. 


1. Novembre 1947. Plan de partage de l'ONU. 

La Résolution 181 de l'Assemblée générale des Nations Unies vote la partition de la Palestine mandataire en deux Etats (un juif, un arabe) et le statut international de Jérusalem. Refusé par les dirigeants arabes, ce plan débouche sur la création de l'Etat d'Israël et déclenche la guerre de 1948 et la «Nabka», l'expulsion forcée de centaines de milliers de Palestiniens de leurs terres historiques. 


2. 1949. Accords d'armistice.

L'ONU et les Etats belligérants fixent des lignes d'armistice entre Israël et ses voisins (qui deviennent les frontières de fait d'Israël jusqu'en 1967). Mais il n'y a pas de règlement final du statut palestinien. 


3. 1967. Plan Allan. 

Proposé après la guerre des Six Jours par le ministre israélien Yigal Allan, le projet vise à garder certaines zones stratégiques en Cisjordanie tout en proposant une autonomie limitée aux Palestiniens. Il ne fut jamais mis en œuvre comme accord bilatéral.


4. 1969. Plan Rogers. 

Le Secrétaire d'Etat américain William Rogers tente de négocier un retrait israélien et un règlement pacifique. Ses tentatives restent sans résultat. 


5. 1973. Conférence de Genève. 

A la suite de la guerre du Kippour, les Etats-Unis, l'URSS, Israël, l'Egypte et la Jordanie proposent une paix basée sur la résolution 242. C'est un échec : la Syrie boycotte la conférence en raison de l'exclusion de l'OLP et de l'absence de solution pour les Palestiniens. L'année suivante, l'OLP est reconnue comme représentant du peuple palestinien (résolutions 3210 et 3236) et obtient le statut d'observateur permanent (résolution 3237) auprès de l'ONU. 


6. 1978. Camp David I. 

Anouar el Sadate et Menahem Begin signent un traité de paix entre Israël et l'Egypte sous l'égide du président Jimmy Carter. Le Sinaï est rendu à l'Egypte. C'est un succès régional mais qui ne résout pas la question centrale de la Palestine. 


7. 1981-1982. Plans Fahd et Brejnev. 

Soutenu par la Ligue arabe, le premier plan vise à créer un Etat palestinien dans le cadre des frontières de 1967. En septembre 1982, après le sommet arabe de Fès, Moscou présente un plan Brejnev en six points, qui reprend les mêmes bases. Mais en juin déjà, Israël a envahi le Liban dans l'espoir de marginaliser l'OLP et de faire capoter les plans arabo-soviétiques.


8. Décembre 1988. 

Discours historique à l'ONU à Genève. L'Assemblée générale des Nations Unies siège exceptionnellement à Genève pour permettre à Yasser Arafat, chef de l'OLP interdit d'accès aux Etats-Unis, de s'exprimer. Ce dernier prononce un discours célèbre devant l'Assemblée, déclare renoncer au terrorisme et proclame en substance : «Je suis venu portant un rameau d'olivier et un fusil de combattant de la liberté. Ne laissez pas tomber le rameau d'olivier de ma main» Il propose un plan de paix en trois points qui reste sans suite. Toutefois, le 15 décembre, l'Assemblée reconnaît l'indépendance de la Palestine par 104 votes contre 36. 


9. 1991. Conférence de Madrid 

Les Etats-Unis, l'URSS et une coalition de divers pays lancent, pour la première fois, des pourparlers directs multilatéraux et bilatéraux entre Israéliens et Palestiniens. La conférence sert de point de départ pour Oslo. 


10. 1993-1995. Accords d'Oslo I et Il. 

Israël et OLP, avec une médiation norvégienne et américaine, se mettent d'accord pour la reconnaissance mutuelle d'Israël et de l 'OLP, la création de l'Autorité palestinienne et un calendrier d'autonomie intérimaire. Dans un second temps, on s'accorde sur la répartition des zones A/BIC en Cisjordanie et le transfert de compétences. Mais les négociations sur le statut final s'enlisent. En février 1994, un extrémiste juif massacre 29 fidèles musulmans au Tombeau des Patriarches et, le 5 novembre 1995, un autre fanatique juif assassine le premier ministre israélien Yitzhak Rabin, partisan d 'un accord.


11. 1997-1998. Accords complémentaires (Protocole d'Hébron, Wye River Memorandum). 

Israël, l'Autorité palestinienne et les Etats-Unis procèdent à des ajustements territoriaux, des mesures de sécurité et des retraits limités. Des accords sont signés mais leur mise en œuvre reste aléatoire et fragile. 


12. 2000 et 2001. Sommet de Camp David II et accords de Taba. 

Ehud Barak pour Israël, Bill Clinton pour les Etats-Unis et les leaders palestiniens tentent d'élaborer un statut final et de régler le problème des frontières et des réfugiés. Sans effet tangible. 


13. Déc. 2000-Janv. 2001. Paramètres de Clinton. L'Administration Clinton propose un compromis sur les frontières, Jérusalem et les réfugiés. Un cadre de référence est fixé mais rien n'est signé. 


14. 2002-2007. Initiatives de paix arabe. 

La Ligue arabe, à l'initiative à nouveau de l'Arabie saoudite, propose la reconnaissance d'Israël en échange d'un retrait aux frontières de 1967, une solution globale pour les réfugiés et Jérusalem ainsi qu'une offre de paix globale avec les pays arabes. Intérêt poli mais pas de mise en œuvre formelle. 


15. 2003. Feuille de route pour la paix. 

Le Quartet (Etats-Unis, UE, Russie et ONU) propose un· plan en trois phases menant à un Etat palestinien vivant côte à côte avec Israël, fixant des étapes et des critères de mise en œuvre. Accepté sur le principe mais bloqué par des violences et des désaccords divers.


16. 2003. Initiative de Genève.

A l'initiative de la société civile, des négociateurs israéliens et palestiniens, dont Yossi Beilin et Yasser Abed Rabbo, esquissent un accord permanent détaillé sur les frontières, Jérusalem, les réfugiés et sécurité basé sur les Paramètres de Clinton et la Feuille de route. Modèle utile mais sans suite officielle. 


17. 2001-2003. Plans Zinni et Tenet.

Des médiateurs américains et des émissaires internationaux élaborent des plans pour un cessez-le-feu et des garanties de sécurité commune assortis d'une feuille de route pour des négociations finales. Accueil plus que mitigé. 


18. 2007. Conférence d'Annapolis.

G. W Bush, Israël et l'Autorité palestinienne relancent des négociations pour parvenir à un Etat palestinien et mettre en place la feuille de route pour des négociations bilatérales sur le statut final. Le processus avorte. 


19. 2008. Plan Olmert et propositions israéliennes. 

Plusieurs gouvernements israéliens successifs (Olmert, Netanyahu) offrent des concessions territoriales en échange de garanties de sécurité, dont un plan avec retraits massifs et échanges de territoires. Ces discussions bilatérales restent sans accord final.


20. 2013-2014. Initiative Kerry. 

John Kerry lance des négociations bilatérales intensives sur les frontières et la sécurité. Elles sont rompues début 2014. 


21. 2014. Plan Abbas. 

Mahmoud Abbas tente d'obtenir une reconnaissance internationale et multiplie les initiatives diplomatiques et les demandes à l'ONU. Pas de traité signé. 


22. 2020. Plan Trump I, Peace to Prosperity («Deal of the Century»). 

Après avoir transféré l'ambassade américaine à Jérusalem en 2018, les Etats-Unis proposent une feuille de route économique et politique dessinant un Etat palestinien non-contigu sous conditions. Large acceptation en Israël mais rejet par les dirigeants palestiniens qui n'y ont pas été associés. 


23. Septembre 2020. Accords d'Abraham. 

A l'initiative américaine toujours, des accords de reconnaissance mutuelle et de coopération sont signés entre Israël et les Emirats Arabes Unis d'une part et Israël et Bahreïn d'autre part, suivis par le Maroc et le Soudan. L'annexion de la Cisjordanie est «suspendue». Pas de référence aux Palestiniens. 


24. Années 2000-2020. Initiatives diverses (Munich Group, Quartet). 

Des Etats (Allemagne, France, Egypte, Jordanie, USA, UE) tentent de relancer le processus via des groupes multilatéraux et des sommets régionaux. Ces efforts diplomatiques sporadiques restent sans effet.

Divers plans de cessez-le-feu et accords humanitaires sont également proposés sous la médiation de l'Egypte, du Qatar et de la Turquie. Des accords de cessez-le-feu ponctuels d'échanges de prisonniers, des trêves humantaires ont lieu en 2008-09, 2012, 2014, 202I, 2023-2025. Ils sont respectés brièvement et n'ouvrent sur aucune solution politique globale. 


25. Plan de paix pour Gaza (Trump II).

A la Suite de l'attaque du Hamas du 7 octobre 2023 contre Israël et des deux ans de guerre et de massacres qui s'ensuivent, Trump propose un nouvel accord de paix en vingt points. Un cessez-le-feu et une libération des otages israéliens et des prisonniers palestiniens ont lieu. Un sommet de chefs d'Etats réunis à Sharm-el-Sheikh est supposé mettre en œuvre une paix à long terme et la reconstruction de la bande de Gaza sous l'égide ?'une gouvernance de type mandataire dirigée par Tony Blair. Le Hamas et les Palestiniens en sont exclus. Pas de mention d’un Etat palestinien. Ni du retour des réfugies. 


Conclusion:

Il n'y a aucune chance au vu des précédents historiques susmentionnés pour, que ce plan réussisse mieux que les précédents même si dans un premier temps et comme de nombreux accords antérieurs il aura eu le mérite de mettre temporairement fin aux massacres. Tant qu'Israël qui domine les Palestiniens sur tous les plans, n'acceptera pas de partager le pouvoir ou de laisser une place à un Etat palestinien, aucun accord de paix.

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Photo : légende.

En 1984, Yasser Arafat (à gauche), Shimon Peres (au centre) et Yitzhak Rabin ont reçu le prix Nobel de la paix, principalement pour les accords d'Oslo,. Malheureusement, cela n'a pas apporté la paix. (photo Wikipedia


Source : Horizons et débats. 18 novembre 2025

3. Mort de Alexeï Navalny - 1976-2024

"S’ils décident de me tuer, cela veut dire que nous avons un incroyableble pouvoir"
Alexeï Navalny

L’ennemi numéro un de Vladimir Poutine serait mort dans sa prison en Artique.


Le 16 février 2024, le prisonnier Navalny A.A. est mort dans la prison de Kharp, au-delà du cercle polaire, ou il purgeait une peine de 19 ans de prison pour "extrêmisme". Selon l’hôpital publique de la ville de Labytnangui, "les médecins urgentistes ont constaté la mort de patient" rajoute l’administration du district autonome de Imalo-Nénétsie précisant que les causes du décès étaient en train d’être établies.


Celui qui est devenu l’opposant no 1 à Vladimir Poutine n’est pas tombé du ciel. Sa maturation politique et contestataire est concomitante de l’implantation du poutinisme en Russie. Né en 1976 à Boutonne, près de Moscou, Alexeï Novalny grandit pendant la dernière décennie d’une Union soviétique en déliquescence. Son père, Anatoly, alors officier de communication dans l’armée rouge, et sa mère, Lioudmila, économiste, ont ouvert au milieu des années 1990 une petite fabrique de tressage d’osier. Après des études de droit et de finances, Navalny,"obsédé depuis toujours par la politique" selon ses propres mots, s’encarte à 24 ans au parti social-libéral Iabloko, quand un certain Vladimir Poutine, ex-agent du FSB (les services de sécurité russes) inconnus du grand public, est propulsé à la tête du pays par le clan véreux du président Boris Eltsine.


Le coeur de son activité politique, très tôt, a été la lutte contre la corruption, surtout dans les grandes entreprises d’Etat, l’un des pilier du régime poutinien. En 2007, il se lance dans "l’activisme d’investissement" Navalny achète une poignée d’actions dans les grosses boîtes énergétiques Transneft, Rosneft, Gasprom, ou les banques gouvernementales Sberbank et VTB, pour quelques dizaines de milliers de dollars. En tant qu’actionnaire minoritaire, il exige un droit de regard sur les activités du management, remarquant que les dividendes sont microscopiques par rapport aux bénéfices d’entreprises qui, par ailleurs, disent verser des millions à des oeuvres caritatives, ce dont Navalny ne retrouve aucune trace. C’est ainsi qu’il met le doigt sur les grandes manoeuvres de détournement d’argent opérées par l’entourage de Vladimir Poutine.


Après sa tentative d’empoisonnement en 2020, l’enquête avait mis en cause une unité spéciale du FSB, les services de sécurité russes, dans cet empoisonnement à l’aide d’un agent innervant du type Novitchok. Après avoir été soigné en Allemagne, Navalny avait alors pris cet décision, déjà jugée insensée par la plupart de ses sympathisants, de rentrer en Russie où il a été arrêté dès son arrivée l’aéroport.



Il faut saluer le courage et l’optimisme de Alexeï Navalny car il voulait sans doute croire que vraiment Poutine se contenterait de le laisser crépir en prison. Portant il savait. Et repensons un instant à quelques autres, à ce que fut leur sort : Natalia Estemirova, Stanislav Markelov, Boris Nemtsov, Anastasia Babourova, Alexandre Litvinenko, Sergueï Magnitski, Anna Politkovskaïa, Boris Berezovski.

Source : presse locale du jour

2. Prisonnier de Poutine

 <<Le but est de briser Alexeï Navalny, mais il peut être fort et s'en remettre»

La détention de l'opposant dans l'une des prisons les plus dures de Russie renforcera son poids dans le pays.

Entretien avec le politologue Andrei Kolesnikov.


Le crâne rasé et le ton grinçant. Alexeï Navalny a confirmé lundi · qu'il était incarcéré dans l'une des prisons les plus sévères du pays, la colonie pénitentiaire IK-2, à Pokrov, où son avocate, Olga Mikhailova, a pu le rencontrer. L'opposant du Kremlin doit y purger une peine de 2 ans et demi de prison. «Il faut reconnaître que le système carcéral russe a réussi à me surprendre. Je ne pensais pas qu'on pouvait construire un camp de concentration à 100 km de Moscou», écrit-il. Un message accompagné d'une photo où il apparaît les traits tirés. Entretien avec Andrei Kolesnikov, politologue au Centre Carnegie de Moscou. 

La prison risque-t-elle de briser Alexeï Navalny et ses soutiens? 


Les camps russes, héritiers du système carcéral soviétique, sont très divers. Les autorités ont fait exprès de choisir pour lui une prison au régime réputé très dur. Le but est de le briser, le pouvoir avait déjà cherché à le faire avec Mikhai1 Khodorkovski (ndlr: le milliardaire opposant emprisonné dix ans, principalement dans un camp en Sibérie). Mais comme l'oligarque, Alexeï Navalny peut être fort et s'en remettre. Son passé a prouvé sa résilience. Il faudra que les médias et l'opinion publique le soutiennent à distance. Empoisonné, emprisonné, Navalny ne peut pas quitter la politique après ce qui s'est passé. Il a une autorité désormais morale. Mais l'histoire va bien au-delà de sa personne: la répression de la société civile, la résistance face aux pressions du Kremlin de Poutine. De nombreux Russes vont continuer la lutte, qui ne peut se réduire à Navalny. 

Il ne voulait pas devenir un énième opposant en exil à l'étranger. Emprisonné en Russie, peut-il devenir un martyr?
Sa peine risque d'être alourdie, avec de nouvelles poursuites. Les autorités veulent le garder derrière les barreaux pour qu'il ne puisse plus être le moteur de l'opposition. Mais Navalny finira par sortir de prison et Poutine par quitter le Kremlin. Avec en vue, la présidentielle de 2024. En attendant, Navalny peut devenir un martyr. C'est déjà un leader de l'opposition, qui, avec les derniers événements, a gagné en respectabilité auprès de cercles plus larges de la société civile. Prêt depuis des années à être arrêté ou tué, ce n'est pas un simple citoyen, c'est un révolutionnaire, une figure de la résistance. Cette détention n'est qu'un épisode dans sa carrière. 


Au tribunal, Navalny s'est mis à citer la Bible dans sa défense. Se sent-li investi d'une mission religieuse?
C'est difficile de dire si ces références religieuses révèlent vraiment sa foi ou si elles sont un appel plus politique pour séduire un public de croyants et élargir son audience. Navalny a toujours dit qu'il ne voulait pas se réduire à l'opposition libérale mais être une figure nationale, y compris auprès de la frange conservatrice de la population. Mais n'oubliez pas qu'après son empoisonnement, il s'est réellement retrouvé entre la vie et la mort. Il a survécu. La foi a pu devenir un élément fort dans sa vie intérieure. 


Les télévisions du Kremlin parlent désormais beaucoup de Navalny. Peuvent-elles réussir à le diaboliser?
La propagande d'État a changé de stratégie. Avant, elle ne mentionnait pas Navalny, pour donner l'impression qu'il ne comptait pas sur la scène politique. Mais depuis son retour à Moscou, il est devenu une célébrité et les télévisions ne peuvent plus prétendre qu'il n'est personne. Donc elles cherchent à salir sa réputation, trouvant des problèmes et des erreurs dans son passé, le décrivant comme un nazi et un escroc. Cela peut se révéler efficace. Mais pour les Russes prêts à s'engager en politique, ces manipulations sont perçues comme une motivation de plus pour s'opposer au pouvoir. 


Les nouvelles sanctions occidentales sont-elles utiles?
Paradoxalement, ces sanctions sont plus importantes pour l'Ouest que pour la Russie. Elles ne changeront rien dans notre économie ni dans la vie des Russes. Mais elles ont une importance symbolique. Les sanctions ont, à juste titre, ciblé les responsables de l'empoisonnement puis de l'emprisonnement de Navalny. L'élite russe s'est toutefois habituée aux sanctions. Pour elle, les nouvelles mesures sont une preuve supplémentaire que les relations ne peuvent plus s'améliorer entre Moscou et l'Occident et s'enfoncent dans une impasse.
Benjamin Quénelle Moscou

Navalny a fait parvenir cette photo de la prison IK-2.

jean nydegger

Source : TdG jeudi 18 mars 2021

​​​​​​​1. Répression- en Russie - Nayalny dans l'enfer de la prison IK-2 

L'opposant russe va être incarcéré dans l'une des colonies pénitentiaires les plus sévères du pays. Témoignages d'anciens détenus. Alain Barluet Moscou (Le Figaro) 

C'est un endroit terrible et inhumain. «Une machine à briser les détenus», selon les témoignages de ceux qui y sont passés et ont été marqués à vie. Une fois sa quarantaine achevée, Alexeï Navalny sera incarcéré dans la «colonie correctionnelle 2» (izpravitelnaya kolonia 2, ou IK-2), à Pokrov, à 100 kilomètres au nord-est de Moscou. 
L'opposant au Kremlin doit y purger une peine de 2,5 ans de prison.pour non-respect du contrôle judiciaire dans le cadre d'une ancienne condamnation avec sursis pour fraude. Le 27 décembre der- ' nier, le juge moscovite lui avait fait parvenir une convocation ... pour le lendemain. Navalny se trouvait alors en Allemagne, où il achevait sa convalescence après avoir été victime d'une tentative d'empoisonnement. Tentative que le renseignement américain a imputée à Moscou et pour laquelle Washington a annoncé ses sanctions contre sept hauts responsables russes, dont le patron des services de sécurité (FSB). 
À Pokrov, Alexeï Navalny devra désormais survivre à IK-2, «l'une des colonies pénitentiaires les plus sévères de Russie». Des baraquements à deux étages, divers bâtiments de service, une église en bois et un moulin, «pour la décoration» ... Le tout entouré de cinq clôtures surplombées de miradors. 

Coupés du monde
Konstantin Kotov en est sorti en décembre. Il avait été condamné à 4 ans de prison (peine réduite à 18 mois), {)OUT avoir participé à des manifestations antigouvernementales durant l'été 2019 et relayé des messages del' opposition. Il décrit un environnement dans lequel les détenus n'ont quasi-pas de temps libre et sont complètement coupés du monde extérieur. «Vous disposez de quelques minutes pour vous lever et faire votre lit. Vous avez deux minutes pour enfiler vos vêtements. Vous ne marchez pas, vous courez ... » se remémore Konstantin Kotov. Objectif: maintenir les prisonniers sous pression et les soumettre. 
Pour l'administration d'IK-2, il s'agit de «casser psychologiquement les gens», a raconté à la télévision d'opposition Dojd Dmitri Demouchkine, un activiste nationaliste qui a passé deux ans derrière ces murs après avoir été condamné en 2017 pour «incitation à la haine ou à l'hostilité». Durant sa détention, il n'a pas pu recevoir une seule visite, de même pour ses codétenus. Pas de téléphone pendant des mois ni d'internet. Les avocats ont la plus grande difficulté à s'entretenir avec ceux qu'ils sont censés défendre.
Seul moyen de communication avec la famille, et seulement en cas de bonne conduite, une lettre manuscrite. Et encore: le détenu dispose, chaque semaine, de quinze minutes pour rédiger sa missive, sous l'œil d'un gardien. «À ce rythme, on met un mois pour écrire une lettre», relève Demouchkine. «Le gardien est assis à côté de vous et lit ce que vous écrivez. Si ça ne lui plaît pas, il prend la lettre et la jette», complète pour sa part l'ex-détenu d'IK-2, Konstantin Kotov. 

Les gardiens sont eux-mêmes des prisonniers
Dmitri Demouchkine se souvient de son arrivée dans la colonie. On lui a immédiatement demandé: «Quelle est votre attitude à l'égard de Vladimir Poutine?» «Négative», a répondu le nouveau venu. Il est alors incarcéré dans le «secteur de contrôle renforcé» - (en russe, barak ousilennogo regima, un terme issu du Goulag). Les détenus peuvent parfois n'y rester qu'une semaine, mais il n'y a pas de règle. Demoüchkine y a passé huit mois. Les détenus ont l'interdiction de parler et de communiquer entre eux. En deux ans, il n'aura échangé aucune parole avec eux.
Et ceci, qui pourrait rappeler les heures les plus noires de l'univers concentrationnaire du XX• siècle: les gardiens sont eux-mêmes des prisonniers. On les appelle les «activistes», et ce sont eux qui «tiennent» la colonie avec une poigne de fer. Ils reçoivent pour cela un salaire et certains privilèges, comme celui de se rendre à la douche quand ils le souhaitent - les simples détenus, eux, ne peuvent y aller qu'une fois par semaine, de même qu'à l'église.
Les 800 prisonniers sont regroupés en «brigades» de 55 hommes surveillés par 20 «activistes». Le baraquement est constitué d'une vaste salle prévue pour 60 personnes avec des lits superposés, chacun disposant de 2 m2 avec une table et une chaise. «Chaque fois qu'un «activiste» entre, il faut se mettre debout. Vous imaginez avec vingt, il faut se lever tout le temps», ironise Demouchkine.



Au régime de la cruauté
«Chacun doit garder le dos droit et les pieds joints; si vous vous asseyez mal, vous êtres réprimandés, si vous fermez les yeux, aussi», poursuit-il. Soumis au régime de l'absurde et de la cruauté, le détenu peut se voir être obligé de rester debout des heures, tête baissée, pour une veste mal boutonnée. Tout manquement à la discipline peut vous priver de la perspective d'une libération conditionnelle avant terme.
Les détenus les plus surveillés sont soumis à un régime d'une extrême sévérité. «Toutes les deux heures, il faut se présenter et faire un rapport sur soi-même et sur sa peine», se souvient le nationaliste Dmitri Demouchkine. «La nuit, on vous réveille toutes les heures avec une lampe pour vous faire répéter votre rapport», poursuit-il. Bien évidemment, tout le monde est alors réveillé, personne ne peut dormir. Seul divertissement - obligatoire - , la télévision, uniquement les chaînes fédérales, bien sûr. Et s'endormir devant les programmes des médias peut valoir une punition ...
Les châtiments corporels, passages à tabac et autres tortures, qui étaient monnaie courante, n'ont plus droit de cité, concède l'avocate. Ils auraient pris fin avec l'arrivée d'un nouveau directeur... en janvier dernier. Dmitri Demouchkine, lui, affirme ne pas avoir été battu. Mais «la violence est tellement quotidienne et banale que personne n'y prête plus attention. Les conditions sont telles que... vous rêvez d'être battu et laissé seul.» 

Frais de logement 
En théorie, les détenus peuvent travailler en échange d'un maigre salaire, qui couvre à grand-peine les. frais de logement qui leur sont imposés. Un système qui est régulièrement dans le viseur des groupes de défense des droits humains, dénonçant des conditions harassantes et des journées de travail interminables. Pour le directeur des services pénitentiaires russes (FSIN), Alexandre Kalachnikov - visé par les dernières sanctions des États-Unis et de l'Union européenne -, Alexeï Navalny sera autorisé à travailler comme cuisinier, bibliothécaire ou couturier. Il assure aussi qu'aucune menace ne pèse sur le principal opposant russe. 
«Soit une personne sort de cette colonie brisée psychologiquement, soit elle quitte la Russie immédiatement après avoir purgé sa peine. Dans les deux.cas, pour le pouvoir, c'est un opposant qui quitte le terrain de jeu», estime Maxime Troudolioubov, rédacteur du site d'information Meduza. L'opposant Ilya Iachine, lui, raconte avoir demandé récemment à Navalny s'il avait peur de se retrouver derrière les barreaux. «Pas du tout, la moitié du pays est passée par la prison», lui aurait répondu celui qui est désormais le détenu le plus célèbre de Russie. Et d'ajouter: «D'autres ont fait face sans craquer, cela signifie que je le peux moi aussi, s'il le faut ... » 

«Soit on sort de cette colonie brisé psychologiquement, soit on quitte la Russie. Dans les deux cas, pour le pouvoir; c'est un opposant qui quitte le terrain de jeu.» 

​​​​​​​Maxime Troudolioubov. Rédacteur du site Meduza 


Derrière les barbelés, les baraquements d'IK-2 et son église. Le pénitencier est connu pour être l'un des plus inhumains du pays.

jean nydegger

Source: TdG jeudi 4 mars 2021